Programmation de films et vidéos avec Contrechamp

Pourquoi se saisir d’une telle question ?

 

La société française est parcourue par des contradictions sociales en partie héritées de la période coloniale (représentation de sa population, discrimination raciale et sociale, politique étrangère…) qui freinent l’invention et la mise en place d’un projet social ambitieux. Comme le souligne l’historien Benjamin Stora, il est aujourd’hui nécessaire de contribuer au « besoin d’histoire » pour faire face aux dynamiques sociales et psychologiques que connaît notre société, et éviter la crise profonde et les violences. Stora invite à déconstruire les images ethnoraciales qui demeurent : « Ce qui était extérieur, sur les contours de la société française, est aujourd’hui partie prenante, altère les contours et transforme de l’intérieur », mais « c’est dans l’absence de savoir sur ces problèmes que naissent les fantasmes sur ce qu’a été la colonisation, sur le rapport avec le génocide, tous ces termes qui sont utilisés et instrumentalisés. [...] On ne peut pas continuer comme cela, avec une population en déshérence, en désir de compréhension, confrontée aux exigences politiques du présent, c’est-à-dire au problème du racisme dans la société ». Alors que les écrits anticoloniaux d’Aimé Césaire et de Frantz Fanon ont reçu une audience internationale et ont contribué à l’éloration de la critique postcoloniale, à la pluralisation des discours et des savoirs, à la fragmentation de l’histoire et à la revendication d’historicités multiples, en France, selon Matthieu Renault « tout reste à dire » sur les apports de ces penseurs.

 

La programmation de Contrechamp fait ainsi écho aux recherches menées par les études postcoloniales et par les artistes qui se sont intéressés aux mouvements anticoloniaux et à leurs suites.

 

La pensée postcoloniale est une approche, une manière de poser les problèmes, une démarche critique consacrée aux conditions de la production culturelle des savoirs « sur Soi et sur l’Autre » et à la capacité d’initiative et d’actions des dominés dans un contexte considéré comme ayant été soumis à une domination occidentale hégémonique qui a conduit au colonialisme et à ces processus de domination. Trois questions dominent : faire l’archéologie culturelle du fait colonial, contester l’hégémonie de la pensée et des savoirs occidentaux (il faut « provincialiser l’Europe » écrit Dipesh Chakrabarty et « décoloniser les savoirs »), redonner une place propre à l’histoire et à la culture des pays ex-colonisés. Ainsi, les Postcolonial studies visent à construire d’autres récits et à donner présence à l’expérience de l’Autre. L’écriture de l’histoire du monde non-occidental, la critique de la culture, des représentations et des identités, la mise en évidence des logiques de domination, constituent le travail engagé. À partir de cette base commune, les Postcolonial studies se sont développées dans d’innombrables directions. La réalité fragmentée de la postcolonialité, son hétérogénéité, qui va de pair avec une continuité de certains éléments du colonial, exige une approche pluridisciplinaire. Tout monde changeant et instable (ce qui était déjà le cas du monde colonial) demande des outils conceptuels qui questionnent un point de vue unique, mettent en évidence des interconnexions mais aussi les points de divergence entre les situations. Les idées universalistes de la modernité venues de l’Europe après les Lumières n’étaient que partiellement universelles ; elles étaient en même temps provinciales. Elles représentaient par conséquent des ressources intellectuelles qui furent, simultanément, indispensables et inadéquates pour saisir les processus de modernité et de modernisation hors (et aussi à l’intérieur) de l’Europe. Pour D. Chakrabarty, l’universel a une valeur méthodologique ou heuristique mais il n’est jamais matérialisé concrètement car il y a, inévitablement, différentes interprétations locales. Dans cette perspective, les histoires globales sont à penser sur le « modèle de la conversation ». E.Chérel