Un projet architectural de Philippe Rahm, 2009
INTRODUCTION DU SYMPOSIUM
POUR UNE ARCHITECTURE ATMOSPHERIQUE
Par Philippe Rahm
Le secteur du bâtiment est l’un des principaux responsables du réchauffement climatique car la combustion d’énergies fossiles pour le chauffage ou le rafraîchissement des maisons est à la source de près de 50% des émissions de gaz à effet de serre. Après quelques résistances et atermoiements, l’ensemble de la profession est aujourd’hui mobilisé pour le développement durable en plaidant pour une meilleure isolation thermique des façades, l'utilisation des énergies renouvelables, la prise en compte du cycle de vie des matériaux ou une forme plus compacte des constructions.
INTRODUCTION DU SYMPOSIUM
POUR UNE ARCHITECTURE ATMOSPHERIQUE
Par Philippe Rahm
Le secteur du bâtiment est l’un des principaux responsables du réchauffement climatique car la combustion d’énergies fossiles pour le chauffage ou le rafraîchissement des maisons est à la source de près de 50% des émissions de gaz à effet de serre. Après quelques résistances et atermoiements, l’ensemble de la profession est aujourd’hui mobilisé pour le développement durable en plaidant pour une meilleure isolation thermique des façades, l'utilisation des énergies renouvelables, la prise en compte du cycle de vie des matériaux ou une forme plus compacte des constructions.
L’architecture du changement climatique
On le voit, ces mesures ont un objectif bien précis, celui de lutter contre le réchauffement climatique en réduisant les émissions de CO2. Mais au-delà de la finalité, au-delà de ces objectifs responsables et écologiques, est-ce que le climat pourrait constituer un nouveau langage architectural, celui d’une architecture pensée comme météorologie? Pourrait-on imaginer que les phénomènes climatiques tels que la convection, la conduction, l’évaporation, par exemple, puissent devenir les nouveaux outils de la composition architecturale ? La vapeur, la chaleur ou la lumière pourraient-elles constituer les nouvelles briques de la construction contemporaine?
Le changement climatique nous oblige à repenser profondément l’architecture et à déplacer notre intérêt d’une approche purement visuelle et fonctionnelle, à une approche plus sensible qui s’attarde d’avantage sur les paramètres invisibles et climatiques de l’espace. Glissant du plein au vide, du visible à l’invisible, de la composition métrique à la composition thermique, l’architecture comme météorologie ouvre d'autres dimensions, plus sensuelles et plus variables, dans lesquels les limites se dissipent et les pleins s’évaporent. Il ne s’agit plus de construire des images et des fonctions, mais d’ouvrir des climats et des interprétations. À grande échelle, l’architecture météorologique explore le potentiel atmosphérique et poétique des nouvelles techniques du bâtiment que sont la ventilation, le chauffage, le renouvellement d’air double-flux ou l'isolation. À l'échelle microscopique, elle sonde de nouveaux champs de perception cutanée, olfactive, hormonale. Entre l’infiniment petit du physiologique et l’infiniment grand du météorologique, l’architecture doit construire des échanges sensuels entre le corps et l’espace et y inventer de nouvelles esthétiques capables de modifier durablement la forme et la manière d’habiter de demain.
La convection comme outil de composition architecturale
Dans La Théorie d’Architecture, nous avons distingué entre éléments d’architecture et éléments de composition. Traditionnellement, éléments d’architecture sont des éléments simples comme escalier, fenêtre, mur, porte, plafond, colonne, corniche, etc. Ce sont des éléments qui s’additionnent pour composer un bâtiment. On pourrait comparer les éléments d’architecture aux mots d’une phrase. Les éléments de composition sont des éléments servant à relier, à composer pour l’utilisation d’un certain nombre d’éléments d’architecture. Les éléments de composition sont, par exemple, l’addition, la soustraction, la symétrie, l’asymétrie, etc. On pourrait comparer les éléments de composition aux verbes d’une phrase. Aujourd’hui, on rapport avec le souci du climat et de la durabilité, nous voudrions faire glisser ces éléments du solide au vide, du matériel au climatique. Nous proposons une nouvelle série d’éléments d’architecture et d’éléments de composition comme éléments météorologiques : chaleur, humidité, air, lumière, seraient éléments d’architecture ; convection, conduction, évaporation, pression et radiation les nouveaux éléments de composition. Nous analyserons ici le premier élément de composition, la convection, comme outil de composition dans la pensée et le dessin de formes et de programmes.
Dans la théorie thermodynamique, le transfert d’énergie par chaleur peut avoir lieu entre objets par radiation, conduction et convection. La convection est d’ordinaire la forme principale de transfert de chaleur dans les gaz. Le terme décrit les effets combinés de conduction et de circulation des fluides. Dans la convection, transfert par enthalpie a lieu par le mouvement des parties chaudes ou froides du fluide couplé au transfert de chaleur par conduction. Normalement une augmentation de température produit une réduction en densité. Ainsi, quand l’air est chauffé, il monte, déplaçant l’air plus dense (plus froid), qui chute. Dans cette convection libre, des forces de gravitation et de poussée propulsent le mouvement des fluides.
Le projet décrit ci-après montre de quelles façons la convection peut devenir un outil de composition architecturale.
Pour une astronomie domestique
Le projet « Domestic atronomy » est le prototype d’un appartement dont on habiterait non plus la surface mais l’atmosphère. Quittant le sol, les fonctions et le mobilier s’élèvent, se dispersent, s’évaporent dans l’atmosphère de l’appartement, se stabilisant selon certaines températures en relation avec le corps, l’habillement et l’activité.
Selon la loi d’Archimède, l’air chaud monte tandis que l’air froid descend et cette réalité physique a une influence directe sur la répartition des températures à l’intérieur d‘un appartement. On peut mesurer de grandes disparités de températures entre le niveau du plancher et le niveau du plafond. Il fait par exemple 19° C au niveau des pieds et 28°C, 3 mètres plus haut, sous le plafond. Cette différence de température est totalement inutile et devient même un problème aujourd’hui face à la question du réchauffement climatique contre lequel les politiques du développement durable lutte en réduisant la consommation d’énergie à l’intérieur des bâtiments. En effet, ces 8°C au-dessus de 20°C, que l’on trouve sous le plafond, sont de l’énergie gaspillée qui ne profite à personne.
Notre propos est aujourd’hui de prendre en compte ces disparités physiques dans la répartition de la température dans l’espace et d’en profiter pour transformer la manière d’habiter l’espace en quittant l’exclusivité d’un mode d’habitation horizontal en intérieur pour un mode d’habitation vertical où l’on peut habiter différentes zones thermiques, différentes strates, différentes altitudes.
Afin d’économiser l’énergie, la norme suisse pour la construction SIA recommande de chauffer les différents espaces de la maison à différentes températures, afin d’optimiser l’énergie dépensée en fonction de l’activité et de l’habillement de ses utilisateurs. Ainsi les espaces où l’on est nu seront chauffés plus fortement tandis que les espaces où l’on ne fait que passer ou bien ceux où l’on est plus chaudement habillé doivent être plus froid. La norme SIA préconise donc de chauffer les toilettes à 15 °C, la chambre à coucher à 16°C, la cuisine à 18°C, le séjour à 20°C, la salle de bain à 22°C. Selon ces objectifs et en relation avec les principes d’Archimède d’ascendance de l’air chaud, nous proposons de répartir le programme d’un appartenant dans l’ensemble de l’atmosphère d’une pièce unique en y cherchant les différentes températures convenant aux différentes fonctions, aux différentes activités de l’habitant et à son habillement.
Il faut ensuite définir la ou les sources de chauffage, par radiation, par convection. L’espace artificiel intérieur de l’architecture est un espace où sont désassemblés les éléments constituant l’atmosphère qui, dans le monde naturel forment un ensemble de relations de causes et d’effets, constituant un système écologique où tous les éléments sont reliés et interdépendants dans des échanges énergétiques, chimiques, physiques et biologiques. Espace, lumière, température, mouvement d’air sont ainsi, dans le monde naturel, totalement imbriqués et leurs variations, dans de grands mouvements astronomiques, temporels, thermodynamiques et biologiques, forment l’atmosphère de la planète comme un écosystème. Notre propos est aujourd’hui de réintroduire en intérieur une sorte de seconde astronomie dont les raisons d’être ne seraient aucunement naturalistes mais au contraire surgiraient au cœur même des dispositifs artificiels de gestation des climats intérieurs artificiels de la modernité. C’est ainsi que nous proposons de réassembler en un tout, de recompacter en un bloc, les différents éléments climatiques séparés par les techniques du bâtiment pour construire en intérieur un écosystème global comme une sorte de nouvelle astronomie d’intérieur où température, lumière, temps et espaces se recombinent en une atmosphère unique, une seule temporalité, une géographie.
Comme le soleil, les lumières artificielles produisent de la chaleur parce que le rayonnement lumineux électromagnétique est de l’énergie en soi. Paradoxalement, la lumière électrique dégage plus de chaleur invisible que de la lumière visible. En fonction de la technique utilisée, une part d’énergie plus ou moins importante sera transformée en chaleur et une autre en lumière. Les ampoules à incandescence utilisées dans l’espace domestique durant tout le 20ème siècle ont un rendement lumineux excessivement faible, puisque que pour une ampoule d’une puissance de 100W, seuls 2W sont transformé en lumière, les 98W restant dans l’invisible comme pure chaleur. Les récentes ampoules économiques fluo-compactes ont un rendement lumineux meilleur. Pour une même luminosité qu’une ampoule à incandescence de 100 W, on n’a besoin que de 20 W, et de ces 20 W, 6 W sont convertis en lumière et seulement 14 W sont perdus sous forme de chaleur. En fonction du choix de l’ampoule, une certaine température de lumière sera émise, plus chaude pour les ampoules à incandescence, plus froide avec les ampoules fluocompactes. Ce que l’on constate est qu’en réalité les ampoules que l’on utilise pour éclairer nos intérieurs modernes sont en réalité plus des source de chauffage que de lumière, le rapport étant en faveur de la chaleur, la lumière étant presque une conséquence collatérale mineure de ces sources d’énergie. Cette réalité d’une collusion entre chaleur et lumière devient dans notre projet pour le musée e Louisiane le principe d’une production en intérieur d’une atmosphère avec sa météorologie et sa temporalité. Nous proposons ainsi de chauffer l’espace du musée uniquement avec de la lumière électrique, d’une façon similaire du système solaire où la source de chauffage, le soleil, est combinée avec celle de la lumière. L’espace du musée est de 225 m3. On peut calculer qu’il faut une puissance de 5000 W pour chauffer l’espace correctement. Nous proposons de produire ces 5000 W par deux sources lumineuses disposé en diagonal dans l’espace, l’une incandescence, l’autre fluocompact. C’est ainsi que pour chaque ampoule, nous produirons 98 W du côté incandescent et 14 W du côté fluo-compact, soit 112W par pair. Il faut donc 45 ampoules incandescentes à 100 W et 45 ampoules fluo-compactes à 20 W pour chauffer cet espace. Disposées en diagonal dans l’espace, programmées selon un thermostat réglé sur un différentiel de 16°C à 19°C pour le radiateur haut en fluo-compact et 15°C - 18°C pour la source incandescence située en bas de l’espace, cette disposition asymétrique provoquera la formation d’un bouchon thermique chaud en altitude qui permettra à la chaleur plus chaude en bas de rayonner horizontalement. Une atmosphère et sa météorologie se constituent ainsi, dans laquelle on habite selon toutes les dimensions spatiales et climatiques, entre des latitudes d’intensités lumineuses et des longitudes de températures de couleurs, des altitudes de températures. Les thermostats provoqueront une temporalité lumineuse en allumant ou éteignant les lampes en fonction des températures mesurées, générant une véritable astronomie en intérieur, avec ses jours incandescents et ses nuits fluo-compactes.
DIGESTIBLE GULF STREAM
La question du climat comme thème architectural est devenue majeure face aux enjeux du développement durable en réponse au problème du réchauffement climatique. En prenant nos responsabilités face à ces nouvelles préoccupations écologiques, nous devons en profiter pour réévaluer le champ de l’architecture d’une façon plus étendue, en l’augmentant à d’autres dimensions, d’autres perceptions, du physiologique à l’atmosphérique, du sensoriel au météorologique, du gastronomique au climatique. « Digestible gulf stream » est le prototype d’une architecture qui travaille entre le neurologique et l’atmosphérique, développant une architecture comme un paysage à la fois gastronomique et thermique
L’architecture ne construit plus des espaces mais des températures, des atmosphères. Ici, deux plateaux métalliques horizontaux sont déployés à deux hauteurs différentes. Le plateau bas est chauffé à 28°C. Le plateau haut est refroidi à 12°C. À la manière d’un Gulf Stream miniature, leur position génère un mouvement d’air selon un phénomène naturel de convection où l’air chaud ascendant se refroidit sur la plaque froide en hauteur et redescend pour se réchauffer à nouveau sur la plateau chaud, créant ainsi un flux thermique continu comme un paysage invisible. Ce qui nous intéresse ici, ce n’est plus de créer des espaces homogènes et déterminés, mais au contraire de créer une dynamique plastique climatique, de mettre en place des forces et des polarités qui engendrent un paysage de chaleur. L’architecture se structure ici littéralement sur un courant d’air, déployant une spatialité fluide, aérienne, atmosphérique. L’architecture devient la construction de météorologies. Entre 12°C et 28°C, deux températures aux extrémités de la notion de confort, l’habitant peut migrer dans ce paysage invisible et choisir librement un climat en fonction de ses envies vestimentaires, alimentaires, sportives, sociales et de ses activités.
Car la notion de confort thermique n’est pas uniquement quantifiable en termes de température extérieure. Elle est aussi dépendante de l’habillement, de l’activité physique de l’habitant, de son alimentation. Nous avons par exemple cinq possibilités pour se rafraîchir si l’on a trop chaud lesquels agissent à différentes échelles :
- Diminuer la température de l’air de l’espace en le rafraîchissant à l’aide, par exemple, de l’air conditionné (solution atmosphérique)
- Boire (solution physiologique)
- Se déshabiller (solution sociale)
- Arrêter de bouger (solution physique)
- Stimuler une sensation de fraîcheur par la menthe (solution neurologique)
Chacune de ces solutions est de l’architecture. L’architecture est une médiation thermodynamique entre la macroscopique et la microscopique, le corps et l’espace, le visible et l’invisible, le météorologique et les fonctions physiologiques.
Nous proposons ensuite d’associer aux deux plateaux, deux préparations à la fois culinaire et pharmaceutique que l’on mange ou que l’on s’applique sur le corps et qui stimulent directement au niveau du cerveau les récepteurs de la sensation de froid ou de chaud. La première préparation, sur le plateau haut et froid, est à base de menthe laquelle contient des molécules d'origine cristalline appelées menthol qui provoque au niveau du cerveau la même sensation de fraîcheur que le ferait une température de 15 degrés Celsius. Le menthol active les récepteurs sensoriels moléculaires TRPM8 (Transient receptor potential) présents sur la peau et dans la bouche qui stimulent le groupe de neurones sensoriels périphériques que l’on nomme « sensitive cold units ». À l’opposé, sur le plateau bas et chaud, nous proposons une composition à base de piment dont l’une des molécules, la “capsaïcine”, active le neurorécepteur TRPV1 qui est le même que celui sensible à des températures supérieures à 44°C.
Le champ traditionnel de l’architecture s’élargit alors, en travaillant à ces différentes échelles, atmosphérique et gastronomique, en brouillant les limites entre intérieur et extérieur, corps et espace, neurologie et physiologie. La sensation du froid et du chaud peut donc aussi bien être perçue à l’intérieur du corps (alimentation) qu’à l’extérieur du corps (atmosphère). La question de l’alimentation relève alors aussi de l’architecture, tout autant que la dimension climatique.
Notre architecture s’étend entre le microscopique et le macroscopique, le gastronomique et l’atmosphérique, l’invisible et le visible. L’architecture devient un « Gulf stream » qui polarise les contrastes à différentes échelles (chaud/froid, bas/haut, habillé/déshabillé, intérieur/extérieur, repos/activité) pour former une architecture comme un mouvement convectif d’air, créer un lieu comme une géographie, dessiner l’espace comme un climat, une atmosphère, une gastronomie.
GULF STREAM D’INTÉRIEUR
Le phénomène thermodynamique du Gulf Stream est l’un des modèles les plus fascinants aujourd’hui pour penser l’architecture parce qu’il donne quelques pistes pour échapper à la normalisation et à l’homogénéisation de l’espace moderne. Ce phénomène climatique est généré par la polarisation dans l’espace de deux sources thermiques différentes : une source froide en haut et une source chaude en bas. Cette polarisation thermique dans l’espace génère dans l’espace un mouvement convectif de l’air, qui dessine un paysage thermique invisible, définissant différentes zones avec différentes températures.
La modernité a déterminé des espaces homogènes et moyens, où la température est normalisée autour de 21°. L’ambition est ici de redonner une diversité dans le rapport que le corps entretient avec l’espace, avec sa température, de permettre des transhumances au sein même de la maison, des migrations entre le bas et le haut, le froid et le chaud, l’hiver et l’été, l’habiller et de déshabiller. Pour qu’une personne se sente à l’aise dans un local chauffé, il faut qu’il y ait un équilibre dans les échanges de chaleur se produisant par convection entre son corps et l’air ambiant. Cet équilibre est bien évidemment relatif à l’habillement, entre la nudité de la salle de bain, la protection thermique des couvertures du lit, les vêtements légers que l’on porte dans le séjour. Aujourd’hui, face à la volonté d’économiser les ressources énergétiques, la demande est d’installer pour chaque bâtiment, mais aussi chaque local, une puissance thermique précisément calculée afin de ne dépenser en énergie seulement ce qui est strictement nécessaire. La norme suisse pour la construction SIA 384/2 donne ainsi les valeurs indicatives de la température ambiante suivante :
Au lieu de séparer chaque pièce et de les chauffer à la bonne température, nous proposons de créer dans l’ensemble de la maison deux sources de chaleur (radiateurs), l’une à 15°C, l’autre à 22°C, comme deux pôles thermiques générant une tension thermodynamique dans l’ensemble de la maison. Le pôle froid, à 15°C, au niveau bas du confort domestique est situé dans la partie haute de la maison. À l’opposé, le pôle chaud, à 22°C, est situé dans la partie haute du volume de la maison. Un mouvement de convection d’air est ainsi produit par la différence de ces deux pôles, l’air chutant au contact du pôle froid et s’élevant au contact du pôle chaux. Avec l’aide d’un programme informatique de modélisation thermique, nous analysons la répartition de l’air et les variations de températures produites dans l’espace. Nous découvrons ainsi les zones plus propices à certaines activités en fonction de leur température. Le processus de projet est ainsi renversé : c’est d’abord un climat qui est produit et ensuite des fonctions qui sont trouvées et choisies librement en fonction de la température, de l’habillement, de l’activité et du goût personnel. Un gain écologique et économique est également obtenu dans le bilan global thermique de la maison, dont la moyenne de chauffage est ainsi abaissé à 18°C au lieu de 20°C.
Le sol de la maison se dessine et se déforme alors pour aller chercher les bonnes températures dans l’espace selon la forme que prend l’air dans la toute la hauteur de la maison, selon ses déplacements verticaux en fonction de sa température et des fonctions que cette dernière suggère.
L’architecture ne construit plus des espaces mais des températures des atmosphères. Ici, ce sont deux plateaux horizontaux en métal thermiquement conducteur qui se déploient à deux hauteurs différentes. Le plateau bas est chauffé à 22°C. Le plateau haut est refroidi à 15°C. À la manière d’un Gulf Stream miniature, leur position génère un mouvement d’air par un phénomène naturel de convection où l’air chaud ascendant se refroidit sur la plaque froide en hauteur pour redescendre puis se réchauffer à nouveau sur la plateau chaud, créant ainsi un flux thermique continu comme un paysage invisible. Ce qui nous intéresse ici, ce n’est plus de créer des climats homogènes et déterminés, mais au contraire de créer une dynamique plastique aérienne, de mettre en place des forces et une polarité qui génère un paysage et de penser l’architecture comme la construction de météorologies. Entre 15°C et 22°C, l’habitant peut migrer dans ce paysage thermique et choisir librement un climat en fonction de ses envies vestimentaires, alimentaires, sportives, sociales et de ses activités. L’architecture se structure ici littéralement sur un courant d’air, déployant une spatialité fluide, aérienne, atmosphérique
HABITER LA CONVECTION
The design of this condominium building is based on the natural law of Archimedes that makes warm air rise and cold air drop. Very often in an apartment, a real difference of temperature can be measured between the floor and the ceiling, a difference that could sometimes even be 10 °C. Depending on our physical activities and the thickness of our clothes, the temperature doesn’t have to be the same in every room of the apartment. If we are protected by a blanket in bed, the temperature of the bedroom could be reduced to 16° C. In the kitchen, if we are dressed and physically active, we could have a temperature of 18°C. The living room is often 20°C because we are dressed without moving, motionless on the sofa. The bathroom is the warmest space of the apartment because here we are naked. Keeping these precise temperatures in these specific areas could economize a lot of energy by reducing the temperature to our exact needs. Related to these physical and behavioural thermal figures, we propose to shape the apartment into different depths and heights: the space where we sleep will be lower while the bathroom will be higher. The apartment would become a thermal landscape with different temperatures, where the inhabitant could wander around like in a natural landscape, looking for specific thermal qualities related to the season or the moment of the day. By deforming the horizontal slabs of the floors, different heights of the spaces are created with different temperatures. The deformation of the slabs also gives the building its outward appearance.
Ce projet de trois appartements commandés par l’IBA pour un nouveau quartier à Hambourg repose sur les différences de températures présentes naturellement entre le sol et le plafond d’un appartement dû au phénomène de convection où l’air chaud monte tandis que l’air froid descend. Ces variations de température sont amplifiées en coupe par une variation de la hauteur de la dalle afin de former une sorte de paysage de températures différentes dans lequel l’habitant peut migrer en relation à son activité et son habillement et cela, avec l’ambition de réduire l’énergie dépensée dans le bâtiment en s’appropriant les variations physiques de la température dans l’espace.
Si les matériaux intelligents relèvent bien souvent du visible, du tangible, nous aimerions ici accentuer le travail sur l’invisible, sur le climatique et le thermal, sur l’air et sa qualité. Notre projet suit et module le parcours de l’air et de la lumière, de l’extérieur du bâtiment jusqu’à l’intérieur des appartements, du paysage au design du mobilier. Chacune des étapes est pensée intelligemment afin de donner à l’air une certaine qualité. Les matériaux qui entourent, modèlent, accompagnent l’air sont choisis afin de conférer à l’air une certaine valeur, une certaine qualité. Cela commence avec l’air extérieur dont nous suivons le vent principal venant du sud-ouest. Nous plantons ici, avant que l’air n’arrive au bâtiment, des arbres aux feuilles duveteuses afin d’absorber les poussières et les pollutions de l’air. Cet air arrive soit au nord du bâtiment, soit au sud. Au sud, nous proposons une herbe de couleur le plus sombre possible, d’un vert très foncé, presque noir, d’un albédo faible de 0.1, afin d’absorber au maximum la lumière pour échauffer la terre et échauffer par conduction en conséquence l’air autour. L’une des prises d’air est situé ici, exposé au soleil et à la chaleur, afin d’y prendre en hiver l’air le plus chaud possible. Au nord, au contraire, nous plantons une herbe de couleur le plus claire possible, d’un vert très pâle, presque blanc, d’un albédo élevé à 0.3, afin de refléter au maximum la lumière pour ne pas échauffer la terre et réduire l’échauffement de l’air au maximum pour le garder le plus frais possible. De la menthe aux propriétés rafraîchissantes est planté ici, au nord, comme agrément paysager. Des arbres denses projettent encore des ombres profondes pour renforcer la fraîcheur du lieu. C’est ici que l’on viendra prendre l’air en été, quand il fait trop chaud. Cet air passe dans un puits canadien qui le refroidira encore pour arriver dans l’espace commun des escaliers.
The public area of the building deploys itself from the basement to the roof like a continuous movement of air from the low levels to the high levels. Because the warm air is lighter than the cold air, the high level of the public space will become warmer than the low level. This vertical geography of heat becomes a tank for the new air used for the ventilation of the apartments in a system of air renewal double-flow with heat exchanger. The inside material of this stairs tank is made of eco-cement which absorb the C02 and the pollution of the air and clean it for twice, after the trees, before introducing it in the apartment. An intelligent system based on thermal sensors installed outside the building and inside the public space will measure in real time the temperature of the air. Depending on the seasons, it will choose one entrance of the air, alternately on the north or on the south of the building, on the top or on the bottom of the stairs. For example in winter, we will draw the new air on the south, sunny and warmer face of the building, introducing it in the public space where he will also be heated by the sky dome. Here, we will draw the air at the high and warmest level of the public space for introducing it in the apartment. We have to renew around 20m3 of air for one hour for one person. An intelligent software will calculate the precise quantity of air to renew for each apartment related to the number of people inside and the quantity of vapor produced by their activities in order to reduced the energy consumption.
In the apartment, curtains are install to cut the night radiation while variable exterior sun protections are install to avoid a excess of sun radiation during the day. The façade is made with three layers of glass, with a thermal coefficient of 0,6 kw/m2 U-value. The closed beds are made of natural wood which absorb or reject the excess of humidity, participating indeed to the regulation of the humidity inside the apartment.
If the design process follows the new goal of energy reduction linked to the recommendations of sustainable development, these new constraints can offer new shapes and new ways of living.
If the design process of the design follows the new goal of energy reduction linked to the recommendations of the sustainable development, it especially offer, through this these new constraints, can offer some new shapes and new ways of living.
Biographie
Philippe Rahm
Né en 1967.
Vit et travaille à Paris et Lausanne.
Philippe Rahm est architecte et diplômé de l’école polytechnique de Lausanne en 1993. En 2008, il est l’un des vingt architectes internationaux sélectionnés par Aaron Betsky pour la 11e biennale d’Architecture de Venise. En 2002, il représentait la Suisse à la 8e biennale d’architecture de Venise. En 2007, une exposition personnelle lui était consacrée au Centre canadien d’architecture de Montréal. En 2009, il est nominé au prix Ordos en Chine et était en 2008 l’un des architectes classé dans le top ten du prix international Chernikov. Il a participé à un grand nombre d’expositions (Archilab 2000, SF-MoMA 2001, Musée d’art moderne de la ville de Paris 2001, CCA Kitakyushu, Japon 2004, Mori Art Museum, Japon 2005, Frac Centre, Orléans 2005, Centre Pompidou, 2003, 2005 et 2007, Kunsthaus Graz Autriche 2006, Manifesta 7, 2008, Louisiana museum, Danemark, 2009) et a donné des conférences sur son travail dans de nombreuses université dont Princeton, Harvard, Cooper Union et UCLA. Philippe Rahm a été résident de la Villa Medicis à Rome en 2000. Il travaille actuellement à plusieurs projets architecturaux privés et publics en France, Pologne, Italie et en Allemagne et a réalisé en 2009 la scénographie de La Force de l’art 02 au Grand-Palais à Paris. Il a été Diploma Unit Master à la AA School de Londres en 2005-2006, professeur invité à l’Académie d’architecture de Mendrisio en Suisse en 2004-2005 à l’EPFL (Ecole polytechnique fédérale de Lausanne) en 2006-2007, directeur de master à l’Ecole nationale supérieure d’architecture de Paris-Malaquais en 2008. Il est actuellement professeur invité à l’école d’architecture de la Royal Danish Academy of Fine-Arts à Copenhague. Il est l’auteur du livre Architecture météorologique, paru en France aux éditions ArchiBooks.
Il réalise en 2009 une recherche avec AP.N.É. qui aboutira à la conception d’un prototype de pavillon climatique.
Plus d’informations
Philippe Rahm, Open Climate, 2009 (pdf, 4.8Mo)