Un jeu d'échecs d'Olive Martin et Patrick Bernier, 2012

L'Échiqueté, 2012
Tapis de fil de coton tissé, environ 60x60 cm.
32 éléments (pièces du jeu) décomposés en 64 plaques d'acier découpées (H env. 94 mm x L 30 mm) et thermolaqués noir et blanc. Une règle du jeu accompagnera l'ensemble. 

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Diffusion

  • Projet présenté pour l'exposition personnelle « L'Echiqueté » à la base d'Appui Entre-deux à Nantes, du 22 mai au 7 juillet 2012. Commissariat Jacques Rivet et Marie-LaureViale
  • Dialogue autour de l'Echiqueté sur une invitation d'Olivier Marboeuf à l'espace Khiasma, Les Lilas, le 24 mai 2012 dans le cadre de l'exposition « Un monde sans carte ».
  • Présentation du Déparleur dans le cadre de la manifestation « Place ô gestes », Nantes/Dervallières, les 18 et 19 octobre 2012.
  • Soirée "Chess Variants" à la Kadist Art Foundation San Francisco le mercredi 24 octobre 2012. Commissariat Joseph Del Pesco et Ted Purves.
  • Exposition « Abstraction manifeste » au Centre d'art le Quartier de Quimper du 19 janvier au 5 mai 2013. Commissariat Keren Detton.
  • Présentation de l'échiqueté dans le cadre du Festival Hors Piste du Centre Pompidou, sur une invitation de l'artiste Mohamed Bourouissa. IDu dimanche20 au jeudi 24 janvier.

Production

Base d'Appui Entre-deux, Nantes (commissariat : Jacques Rivet et Marie-Laure Viale).

Suivi de production et diffusion : Isabelle Tellier (Room Service AAC).

Produit avec le soutien de la DRAC Pays-de-la-Loire, de la Région des Pays de la Loire, de l'École des beaux-arts de Nantes, de la Fabrique des Dervallières / Ville de Nantes (résidence 2011/2012).

Collections

Pensées archipéliques

Pensées archipéliques est nourri par échange avec les artistes Olive Martin et Patrick Bernier depuis 2009. Après avoir programmé ,  X.c/préfet de..., Plaidoirie pour une jurisprudence, dans le cadre de la situation Scènes, dans laquelle les artistes ont réalisé un workshop, Pensées archipéliques a soutenu leur récent projet l’Echiqueté.
 
Olive Martin et Patrick Bernier développent depuis une dizaine d’années un travail artistique polymorphe alliant l’écriture, la photographie, l’installation, le film, la performance. Pour ces artistes, l’art n’est ni neutre, ni un simple reflet de la société mais un champ de luttes spécifiques. Il induit la possibilité de donner formes à d’autres récits et des réalités complexes pour ne pas manquer l’essentiel de ce qui se passe dans le monde contemporain.
 
À partir d’une investigation extrêmement précise du droit des étrangers et du droit d’auteur,  X.c/préfet de..., Plaidoirie pour une jurisprudence joue avec les formes de la performance, dans l’objectif de générer de nouvelles représentations et des moyens d’action en vue de modifier la réalité sociale et politique. Cette proposition s’inscrit dans une tradition d’artistes pour qui la participation à la réalisation d’un espace public est une part importante de tout projet esthétique. Elle garde en cela l’implication politique et sociale du projet avant-gardiste de la première moitié du XXème siècle tout en ayant connaissance des nombreuses critiques qui lui ont été faites depuis les années 1970.  X.c/préfet de..., Plaidoirie pour une jurisprudence prolonge à sa manière la réflexion sur la construction du signe artistique et son implication dans le contexte où il surgit, afin tout à la fois d’élargir les mentalités et de transformer les conditions de production et de réception de l’art. Son épure, les liens et les différents déplacements qu’elle opère lui procurent une efficacité qui renouvelle activement la dimension politique de l’art contemporain.
 
Le projet  X.c/ préfet de..., Plaidoirie pour une jurisprudence travaille tout autrement cette question de l’immigration, en se concentrant quant à lui sur la situation des personnes sans-papiers.

 

Ce projet a été réalisé dans le cadre d’une résidence aux Laboratoires d’Aubervilliers en 2007 (en plein période d’existence du ministère de l’immigration et de l’identité nationale et de durcissement des lois contre l’immigration). Cette proposition rejoue les formes de la performance[1]. Durant 45 mn, elle consiste en l'élaboration devant un public -une audience- d'une véritable plaidoirie par de vrais juristes spécialistes du droit des étrangers et du droit d'auteur. Elle met en évidence les durcissements législatifs en matière de séjour sur le territoire pour les étrangers extracommunautairesCette proposition est née de l’engagement à partir de 2001 de P. Bernier dans l’association, GASPROM (groupement accueil service promotion du travailleur immigré) dédiée à la solidarité avec les travailleurs immigrés et à la lutte pour l'égalité des droits entre les Européens et les étrangers, notamment en termes de liberté de circulation et d'installation.
 
Le texte de présentation du projet[2] commence ainsi : « Deux avocats s'arment de l'hospitalité du droit d'auteur pour forcer l'hostilité du droit des étrangers. Là où la Préfecture voit en X. un étranger, nous voyons d’abord un auteur, tel est le déplacement introduit par les avocats Sylvia Preuss-Laussinotte et Sébastien Canevet, spécialisés respectivement en droit public des étrangers et en droit civil de la propriété intellectuelle. La plaidoirie qu’ils performent en robe, face au public, invite la présidente d’un tribunal administratif à casser la décision préfectorale de reconduite à la frontière prise à l’encontre de leur client, en considérant qu’il est le coauteur, le dépositaire et l’interprète exclusif d’une œuvre immatérielle et in progress et à ce titre protégée par les dispositions du code de la propriété intellectuelle ».
 
La base de cette plaidoirie s’appuie sur une nouvelle écrite par P. Bernier en 2004- CONTE POUR UNE JURISPRUDENCE une fiction qui raconte l’histoire d’une jeune femme susceptible d’être reconduite à la frontière et qui pour sa défense revendique le fait qu’elle est à la fois hôte, interprète et coauteur d’une œuvre éphémère qui lui a été transmise par un artiste (du pays « d’accueil »). C’est ce cas inventé, cette hypothèse, qui vont être discutés, lors de la performance par les deux juristes.
 
Sans rendre romantique la marginalité des personnes sans-papiers, ni éluder la difficulté du problème, X.c/préfet de..., Plaidoirie pour une jurisprudence  cherche à échapper à la dystopie actuelle. Pour Patrick Bernier et Olive Martin, l’inducteur fictionnel (le cas de cette jeune femme) est probable, c’est à dire potentiellement réel. D’après eux, leur argumentaire pourrait servir à défendre véritablement une personne qui se trouve sans-papiers et créer un précédent[3]. Ainsi, cette proposition pose de manière troublante la question des entremêlements entre fiction/narration (le conte) et factualité/document (les juristes, les textes référents du dossier de plaidoirie). Elle interpelle à sa manière le rôle et l’impact de la fiction dans la praxis sociale. Et invite à relire les analyses de Gérard Genette : « la distinction entre fiction et non fiction met entre parenthèse la question du statut ontologique des représentations, cette distinction est avant tout pragmatique[4]». 
 
Aux marges de deux champs - l’art et de la justice, cette œuvre allographique[5], située entre la performance et le théâtre, invite à la redéfinition de leurs frontières en introduisant dans le champ de l’art une forme d’oralité, un vocabulaire, une logique sémantique : celle de la plaidoirie avec ces codes et son histoire. Elle conduit alors à envisager différemment la justice. Elle prolonge également l’histoire de la performance -qui a été riche d’expérimentations- en mettant en lien et en dialogue deux domaines de l’activité sociale et en articulant des savoirs différents (deux types de droit, etc.). Elle crée par là même un entre deux. Brouillant les codes et les spécificités du langage de ces deux champs pour les mettre à distance, elle permet alors leur renouvellement en ouvrant un espace supplémentaire de signification. Le performatif comme force, mouvement et temporalité suscite des niveaux sémiotiques hétérogènes. Et, par là même, vise la transformation des habitudes, des normes, des conditionnements par une déstabilisation, une reformulation des codes de la représentation, de la conscience, de la place du spectateur, pour appréhender le contexte esthétique et sociopolitique qui est le nôtre[6].
 
Le spectateur de X.c/préfet de..., Plaidoirie pour une jurisprudence part chargé d’une série de questions socio-politiques : de quelles manières allons-nous gérer l’accélération des flux provoquée par les inégalités économiques internationales et le changement climatique ? Allons-nous risquer de devenir clairement xénophobes à travers une immigration choisie ? Pouvons-nous croire qu’en consolidant les murs et en crispant notre identité nous pouvons produire un pays dynamique et en paix avec lui même[7] ? Faut-il ouvrir toutes les frontières ? Quels sont les principes communs et les modifications internationales à opérer pour faire émerger un monde différent qui tienne compte de ses prochains développements[8] ? Quelles sont les spécificités de la culture française[9] à l’heure des cultures voyageuses ? Comment participe-t-on à la vie culturelle d’une société ? Sait-on ce qu’est vraiment la démocratie ? Ou bien ce qu’elle n’est pas ?
 

[1] Nous reprenons cette définition de la performance de T. De Duve qui permet d’appréhender les libertés prises par cette forme difficile à circonscrire. La performance serait «Toute forme d’art contemporain qui ne serait ni peinture, ni sculpture, ni théâtre, ni danse, ni musique, ni pantomime, ni narration, ni même happening, tout en empruntant plus ou moins à ces formes diverses ». « La performance hic et nunc », in Parachute, Numéro spécial Performance, déjà cité.
[2] Voir site  X.c/ préfet de...,Plaidoirie pour une jurisprudence.
[3] La proposition joue sur un paradoxe, d’une part la reconduction à la frontière de la jeune femme veut dire destruction de l’œuvre et donc violation des lois d’auteur. D’autre part, l’idée est de préserver également des possibilités d’altérer et de dissiminer les œuvres.
[4] GENETTE G., Fiction et diction, Paris, Seuil, 1991, p. 20.
[5] Sur les notions de partition et le concept d’œuvre allograhique voir GOODMAN N., Langages de l’art, Nîmes, ed. J.Chambon, 1990, p. 249.
[6] KRISTEVA J., « A new type of Intellectuel : The dissident » in MOI D. (dir)., The Kristeva Reader, Oxford, Blackwell, 1986, p. 298. « comment éviter de sombrer  dans le bourbier du sens commun, sinon en devenant étranger à son propre pays, à sa propre langue, à son propre sexe et à sa propre identité ? »
[7] RANA M.D., « Social Work: Politics, Police, and the Law in Art, Part 3 », déjà cité : « Bringing the vocabulary of law, intellectual property, and human rights to bear on a situation in which they are denied, Bernier and Martin do not simply denounce the law or verify that rights exist. Nor do they voice a humanitarian “wrong” of statelessness, displacement, and social and political exclusion. In fact, this image―like the legal argument itself―projects two competing worlds: a world wherein rights are valid, and a world wherein they are not. Neither of these worlds corresponds directly to a true world, an idealized or authentic space that confirms the positive truth of human rights or establishes the link between human and citizen. Rather, both of these worlds are here contained within a single world—our world—with which we are forced to reckon. Indeed, it is a precarious world in which immigrants, asylum seekers, Creoles, and Muslims are alternatively forced into view as threats or as subjects who neither have rights nor the means to exercise them. It is a world in which laws governing intellectual property can plausibly apply to bodies―thereby conferring on them an uncertain and provisional status, the merits of which are open to debate. In the chalky artifacts on the blackboard, we see the vague outlines of bodies, as well as the traces left by those who wiped them from the surface. We can read these marks, not as a forced removal from the public sphere or political processes, but as the erasure of the forms of visibility that deny the full content of equality: the unmarking of equality’s others ».
[8] Les experts prévoient une explosion démographique en Afrique dans un avenir proche.
[9] RANA M.D., « Social Work: Politics, Police, and the Law in Art, Part 3 », déjà cité : « Bringing the vocabulary of law, intellectual property, and human rights to bear on a situation in which they are denied, Bernier and Martin do not simply denounce the law or verify that rights exist. Nor do they voice a humanitarian “wrong” of statelessness, displacement, and social and political exclusion. In fact, this image―like the legal argument itself―projects two competing worlds: a world wherein rights are valid, and a world wherein they are not. Neither of these worlds corresponds directly to a true world, an idealized or authentic space that confirms the positive truth of human rights or establishes the link between human and citizen. Rather, both of these worlds are here contained within a single world—our world—with which we are forced to reckon. Indeed, it is a precarious world in which immigrants, asylum seekers, Creoles, and Muslims are alternatively forced into view as threats or as subjects who neither have rights nor the means to exercise them. It is a world in which laws governing intellectual property can plausibly apply to bodies―thereby conferring on them an uncertain and provisional status, the merits of which are open to debate. In the chalky artifacts on the blackboard, we see the vague outlines of bodies, as well as the traces left by those who wiped them from the surface. We can read these marks, not as a forced removal from the public sphere or political processes, but as the erasure of the forms of visibility that deny the full content of equality: the unmarking of equality’s others ».