Beyond the Painting

Une vidéo de Maria Thereza Alves, 2012
accompagnée d'une publication bilingue, éditée par les beaux-arts de Nantes en 2013
avec les textes de Jean Fisher, Catalina Lozano et Emmanuelle Chérel
Design graphique : Atelier trois
112 pages, 70 illustrations, traduction française

L’œuvre de l’artiste brésilienne Maria Thereza Alves procède d’une relecture des représentations visuelles et mentales qui ont édifié les imaginaires de la conquête coloniale. Au-delà de la violence des premiers pas de la mondialisation, l’exposition Par ces murs, nous sommes mal enfermés donne à voir un ensemble de propositions (Seeds of Change, Oree, Iracema de Questembert...) qui met en évidence d’autres récits, d’autres manières de faire le monde, et révèle les ambivalences des processus de métissage.

Invitée par l’école des beaux-arts de Nantes et par le musée d’Histoire de Nantes-Château des Ducs de Bretagne, Maria Thereza Alves a réalisé Beyond the Painting (2011), une vidéo (24 min.) pour laquelle trente femmes ont réinterprété des postures de nus féminins de la peinture française. Cette vidéo traverse l’histoire picturale du nu féminin du XVIIe au XIXe siècle et convie à s’interroger sur les représentations des corps des femmes et à la manière dont elles ont contribué à une construction fantasmée de l’Autre. Elle prête, en effet, une attention particulière aux représentations de la femme « indigène » (telle l’odalisque, cette esclave des harems) tout en établissant des liens avec les représentations du nu féminin de manière plus générale. Lentement, dans une certaine épure, surgissent tour à tour, les attitudes des corps du Triomphe de Neptune ou la Naissance de Venus (1635-1636) de Nicolas Poussin, de La Toilette (1717-1718) de Jean-Antoine Watteau, de L’Odalisque à l’Esclave (1842) de François Boucher, du Sacrifice de la rose (1765-1770) et de Jeune Fille jouant avec un chien (1752) de Jean-Honoré Fragonard, de La Grande Odalisque (1814) et du Bain turc (1862) de Jean-Auguste Ingres, Phryné devant l’aréopage (1861) et Vente d’esclaves (1866) de Jean-Léon Gérôme, des Jeunes Filles au bain (1879) d’Henri-Pierre Picou ou encore du Déjeuner sur l’herbe (1862-1863) ou de L’Olympia (1863) d’Édouard Manet, et de Manao Tupapau (L’Esprit des morts veille, 1892) de Paul Gauguin, etc. Ces chef-d’œuvres s’incarnent tout en révélant d’autres corps. La décontextualisation des poses, extraites des tableaux et des scènes auxquelles elles appartiennent, oblige à mieux les regarder. La Grande Odalisque d’Ingres a perdu ses accessoires orientaux. L’incongruité de certaines postures est accentuée, dévoilant leur fonction érotique, qui, parfois flirte vers l’imagerie pornographique.

Cette œuvre s’inscrit dans le travail de déconstruction du regard, des représentations et de l’histoire de l’art entrepris par les féministes et les artistes femmes  depuis quarante ans. Toutefois Beyond the Painting interroge l’(hétéro)sexualité sous l’angle des rapports sociaux de race dans un contexte intellectuel postcolonial. L’imaginaire sexuel, utilisé pour la représentation de la nation française, servit également à la construction des idéologies racistes qui ont légitimé la conquête impériale.

Cette œuvre de Maria Thereza Alves a pour point de départ l’observation d’un tableau de la collection du Château des Ducs de Bretagne - Musée d’histoire de Nantes : Jeune femme perçant l’oreille de son serviteur noir. Cette huile sur toile dont l’auteur reste inconnu a été exécutée vers 1735. On y voit une jeune femme penchée sur la tête d’un négrillon posée sur ses genoux. Elle tient à la main une aiguille destinée à percer l’oreille du garçon au visage crispé par une grimace d’effroi. L’ensemble de la scène secrète une sensation d’intimité induite par la proximité physique de la femme et son esclave (de pacotille) mais tendue par la soumission inquiète de ce dernier. Dans le geste suspendu de cette main à aiguille, métaphore érotique de l’acte sexuel, s’enchevêtrent les questions de genre et de race.
Comment donner à voir les relations qui unissent l’histoire de la peinture à celle de la politique et à celle de la sexualité ?

Les femmes de Beyond the Painting sont concentrées. Leurs présences sérieuses, silencieuses, sensuelles et assurées s’imposent. Chaque femme semble se présenter, au sens d’être présente, d’être là, face au regard du spectateur. Car il s’agit bien d’un face-à-face. Emmanuelle Chérel, docteur en Histoire de l’art

> A lire : Malick Ndiaye, "Mémoires de l'objet patrimoine et post-esthtéique du trauma", publication collective LABEX CAP, Presses universitaires de la Sorbonne, à paraître

Par ces murs, nous sommes mal enfermés
Exposition de Maria Thereza Alves proposée par Emmanuelle Chérel, dans le cadre du projet de recherche Pensées archipéliques des beaux-arts de Nantes.
Du 24 mars au 27 mai 2012 au Château des Ducs de Bretagne, musée d’Histoire de Nantes

Le projet de recherche Pensées archipéliques mené par Emmanuelle Chérel, docteur en histoire de l’art et Georgia Nelson, artiste, enseignantes à l’école des beaux-arts de Nantes. Il réunit depuis 2009 artistes, historiens de l’art, chercheurs en sciences humaines, autour de la question de la migration (migrations humaines, migrations des formes, des représentations et des idées) et des processus complexes de métissage et de créolisation.

Maria Thereza Alves est représentée par la Galerie Michel Rein, Paris.